Histoire de chaussure de John : Ouverture à Seattle

[Photo : John éteint gracieusement une chandelle pour célébrer le premier anniversaire de la boutique de Seattle.]

Par John Fluevog

En 1980, nous étions en pleine récession, et les temps étaient difficiles dans beaucoup de domaines, notamment ceux de la mode, de la musique et de la culture des jeunes. Au sortir de cinq années de recul des ventes, je me retrouvais avec deux boutiques de chaussures à Vancouver. L’une d’elles commençait à reprendre du poil de la bête grâce à l’arrivée du punk rock et du rockabilly, alors que l’autre, située dans un autre coin de la ville, était en difficulté, entourée de bureaux et d’établissements de soins de santé. Il va sans dire que les temps étaient durs.

J’ai commencé à réfléchir : Que faire? En fermant la boutique en difficulté, je limiterais la capacité de l’entreprise à obtenir différents modèles de chaussures, et posséder une seule boutique ne me semblait pas une option très excitante pour l’avenir.

À cette époque, mes prêts bancaires s’élevaient à 100 000 $, ce qui était bien supérieur aux montants que j’aurais dû obtenir. Malgré tout, je savais que si je ne faisais rien, je serais coincé dans une situation difficile pendant un bon bout de temps. Il ne me semblait pas avisé d’ouvrir une autre boutique à Vancouver, ni dans d’autres grandes villes du Canada. Qui plus est, la plus proche était Calgary, qui était située à 900 km et dont l’économie était peu enviable à l’époque.

J’ai alors porté mon regard au-delà de la frontière. Seattle se trouvait à seulement 225 km. Je n’avais rien à perdre. Sans capital pour un nouvel investissement, je me suis rendu à Seattle, je me suis promené et j’ai trouvé la rue et l’emplacement parfaits; je me suis dit : C’est ici. L’endroit avait une aura un peu canaille, et en faisant le tour de la façade, j’ai levé les yeux pour voir un panneau « À louer ». J’ai rencontré l’agente du propriétaire, et elle fut tellement impressionnée par cet étranger au volant d’une clinquante Jaguar type E 12 cylindres qu’elle a accepté de me louer l’emplacement, ignorant que j’étais au bord de la faillite.

J’ai embauché un entrepreneur pour réaliser des travaux pour 10 000 $ dans l’espace de 660 pieds carrés et je suis retourné à Vancouver pour vider la boutique en difficulté. Entre-temps, je devais trouver 10 000 $ pour payer l’entrepreneur. Vous vous souvenez, j’ai dit que j’avais une belle Jaguar? Je me souviens de l’endroit exact sur la route vers chez moi où je me suis dit un jour : Hé! C’est une chose que je possède… je peux la vendre! Bingo! J’aimais ma voiture, mais cette aventure allait devenir beaucoup plus importante qu’elle.

J’ai placé une annonce, et une seule personne est venue voir la voiture. Cet homme voulait s’en porter acquéreur et m’a donné un dépôt de 500 $; or, un mois s’est écoulé sans qu’il ne donne signe de vie. Cela ne me disait rien qui vaille, mais par un heureux hasard, le vendredi où je devais payer l’entrepreneur, l’acheteur s’est finalement présenté en matinée. Il m’a donné une traite bancaire de 13 000 $, ce qui correspondait, conversion faite, exactement aux 10 000 $us dont j’avais besoin pour payer l’entrepreneur de Seattle. J’ai sauté dans ma moins que resplendissante vieille Subaru et je suis arrivé à temps pour payer l’entrepreneur.

Étonnamment, durant cette période, un optométriste avait vu mes avis de fermeture de la boutique sur Broadway, et il m’a donné quelques milliers de dollars pour l’équipement et a repris mon bail de location. Si vous pensez que j’ai été incroyablement chanceux d’être parvenu à mes fins, vous avez raison. J’étais si absorbé par mon objectif d’ouvrir la boutique de Seattle que je ne prenais pas vraiment la peine de m’occuper des petits détails. Mais quelqu’un là-haut, heureusement, savait qu’il fallait prendre les choses en main.

[Photo : John est pratiquement méconnaissable sur la couverture du « Fluevog Zodiac » (1992-1996)]

Durant cette période, j’ai aussi changé le nom de l’entreprise, Fox and Fluevog (Fox était mon partenaire durant les années 1970), pour John Fluevog Shoes. C’était le début de l’ère punk à Seattle. J’avais embauché à la boutique un mec branché qui était allé en prison, qui n’avait aucune expérience et qui semblait être l’incarnation même de la désorganisation. Les choses auraient pu basculer d’un côté comme de l’autre. Mais Seattle n’avait jamais vu de chaussures comme les miennes : des Dr. Martens en poil de poney, des bottes noires à sangles et à bout en pointe — tout ce qui avait une aura décalée et alternative. Les ventes étaient de trois à quatre fois plus élevées que celles de l’ancienne boutique de Vancouver, et Fluevog s’est intégrée au mouvement grunge de Seattle dès ses débuts.

Mais il y avait un plus gros problème! Il concernait mon nom. Avec mon nom à l’avant de la boutique et des chaussures que personne n’avait vues auparavant, beaucoup croyaient que j’en étais le concepteur. En réalité, je ne faisais qu’aller dans les ateliers de chaussures au Royaume-Uni et combiner d’anciens patrons. Lorsque j’ai vu que les clients voulaient un John Fluevog designer de chaussures, je me suis dit : Hé, je peux faire ça! Je vais commencer à dessiner et à fabriquer mes propres chaussures.

C’est à cette époque que j’en ai découvert un peu plus sur moi-même : je pouvais concevoir des chaussures, et mon esthétique plaisait aux gens. J’ai alors commencé à dessiner et à sculpter mes propres formes et talons, tout à la main, car je n’avais jamais suivi de formation, et c’était la seule méthode que je connaissais. Le moment n’aurait pas pu être plus opportun : l’ouverture de la boutique de Seattle, le changement de nom de la boutique, le mouvement grunge et la nature alternative de la culture des jeunes, tout cela dans la même période, qui ressemblait aux années 1960 dans lesquelles j’avais grandi. J’étais dans mon élément. De ces débuts modestes, mon nom a été connu dans les deux pays grâce au catalogue alternatif et déjanté que je produisais. D’une certaine façon, les photos de moi portant des habits un peu fous que j’y ajoutais toujours et les mauvais dessins de chaussures que je réalisais moi-même attiraient un public différent qui semblait aimer mes chaussures uniques.

C’est fou d’imaginer que j’étais à un pari fou ou à quelques rencontres fortuites de passer à côté de ma carrière en design.

jfsignature

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